La géométrie des voûtes

1  Géométrie des voûtes

La géométrie des voûtes renvoie à deux concepts complémentaires : premièrement à la forme de l’intrados et deuxièmement à l’appareil.
La forme de la surface de l’intrados1 donne son nom aux voûtes. Par exemple une voûte dont l’intrados est hémisphérique est nommée coupole, une voûte dont l’intrados est une portion de cylindre est nommée berceau etc.
L’appareil désigne la géométrie des pierres individuelles (claveaux ou voussoirs) qui composent les voûtes clavées, et donc en particulier la géométrie des faces (ou panneaux) de ces pierres : douelle d’intrados et d’extrados, panneaux de lit en coupe et panneaux de têtes. L’appareil est obtenu par les règles géométriques qui forment la coupe des pierres. Seule la trace des panneaux de douelle d’intrados, ou autrement dit la partie inférieure des joints entre les claveaux, est visible à l’observateur sur l’intrados. Cette trace forme un dessin qui n’est que partiellement révélateur de l’appareil puisqu’il n’est qu’une partie de ce dernier.
Bien que la forme de l’intrados soit le plus souvent le paramètre le plus important pour l’étude mécanique, il ne faut pas pour autant négliger l’influence de la coupe des pierres sur la stabilité des voûtes (Fantin, 2017).
Pour confronter ces deux aspects, forme de l’intrados et appareil, nous proposons pour plusieurs voûtes de confronter les orthophotographies (qui révèlent la trace de l’appareil sur l’intrados) et les lignes de niveaux (qui révèlent la forme de l’intrados). Par superposition, la comparaison des deux géométries est alors possible. Nous proposerons également des exemples pour des voûtes en maçonnerie avec peintures murales, où les peintures peuvent tromper l’observateur et suggérer une forme d’intrados différente de la forme réelle.
La liste des exemples déjà disponibles est donnée ci-dessous. Cette liste sera complétée au fur et à mesure de nos recherches.
Les orthophotos et lignes de niveaux de ces exemples ont été produites par photogrammétrie à l’aide du logiciel MicMac, suivant les méthodes et conventions définies ci-dessous.

2  Vocabulaire des voûtes

Nous utilisons le vocabulaire traditionnel de l’architecture pour désigner les formes de l’intrados des voûtes, tel qu’il est présenté par Pérouse de Montclos (2007). Les principales formes de voûtes sont :
  • la voûte en berceau : voûte dont l’intrados est générée par la translation d’un arc générateur le long d’un axe (berceau droit) ou d’une courbe (berceau tournant) ;
  • la voûte d’arêtes : voûte formée de quartiers séparés par des arêtes saillantes.
  • la voûte d’ogives : voûte formée de quartiers séparés2 par des nervures.
  • la voûte en arc-de-cloître : voûte formée de quatre quartiers séparés par des arêtes rentrantes.
  • la coupole : voûte dont l’intrados est généré par la rotation d’un arc générateur autour d’un axe vertical. Sont également appelées coupoles les surfaces se rappochant de cette forme : coupole ovale (transformation par affinité d’une coupole sphérique), coupole polygonale (perdant la symétrie par rotation de la surface de révolution, et conservant la symétrie axiale). Par ailleurs, la coupole en pendentif et la voûte en pendentif sont des coupoles sur plan quadrangulaire, les pendentifs prolongeant la calotte (partie supérieure de la coupole) dans les angles de l’espace couvert. Pérouse de Montclos (2007) indique que la voûte en pendentif est une « coupole en pendentif très fortement surbaissée ».
Ces différentes voûtes peuvent être pénétrées de lunettes, qui sont des voûtes en berceau qui ne montent pas jusqu’au fait de la voûte (sans quoi ces lunettes seraient alors des quartiers de voûte d’arêtes).
Les qualificatifs concernant les profils des arcs sont également utilisés pour décrire les voûtes. Le vocabulaire relatif au arc est le suivant.
Les arcs surbaissés désignent « tout arc dont la flèche est inférieure à la moitié de la portée » Pérouse de Montclos (2007, p. 131). Ils désignent donc tous les arcs dont la flèche est moins importante que celle de l’arc en plein-cintre de même portée. Les arcs surbaissés comprennent en particulier les arcs en anse-de-panier, dont le profil est proche de celui d’une ellipse, et les arcs segmentaires, qui sont des arcs surbaissés en arc de cercle.
Des profils d’arcs surbaissés sont représentés sur la figure 1.
Fig 1: Arcs surbaissés, superposés à un arc en plein-cintre
A contrario, les arcs surhaussés désignent les arcs dont la flèche est supérieure à la moitié de la portée. Ils désignent donc tous les arcs dont la flèche est plus importante que celle de l’arc en plein-cintre de même portée. Les arcs surhaussés comprennent en particulier les arcs brisés3. Les profils d’arcs surhaussés sont représentés sur la figure 2.
Fig 2: Arcs surhaussés, superposés à un arc en plein-cintre
Les définitions des voûtes données ci-dessus appelent quelques remarques du point de vue géométrique. Alors que la génération des voûtes en berceau est bien définie, celle des coupoles l’est un peu moins pour accommoder des surfaces distinctes (la coupole sphérique est une surface de révolution à double courbure et la coupole polygonale est une composition de plusieurs surfaces réglées). La définition des voûtes d’arêtes et voûtes d’ogives est quant-à elle très vague, et permet de regrouper des géométries très différentes suivant les époques et les lieux, qui ne partagent en réalité en termes de géométrie que la position des arêtes en plan4. Ainsi, la simplification usuelle de présenter les voûtes d’arêtes et d’ogives formées de quatre quartiers comme la pénétration de deux voûtes en berceau horizontales est une définition très réductrice, et qui ne rend pas compte de la diversité de ce type de voûte.
Il faudra donc parfois compléter ce vocabulaire architectural de termes plus géométriques pour permettre d’expliciter les spécificités des voûtes présentées à la lumière des informations que fourni la photogrammétrie.

3  Cas particulier des voûtes plates et des voûtes surbaissées

Une voûte plate est une voûte dont l’intrados, appelé dans ce cas particulier plafond, est horizontal (Fig. 3). Par ailleurs, une voûte dont seule la partie centrale est plate est appelée voûte déprimée (Pérouse de Montclos, 1982, p. 162).
Fig 3: Appareils des voûtes plates, d’après Rondelet (1804, Pl. XXXI) – ici Rondelet (1828, Pl. XXX)
Par abus de langage, les voûtes surbaissées et en particulier les voûtes segmentaires sont fréquemment qualifiées de voûtes plates (Pérouse de Montclos, 1982, p. 162). Il ne s’agit pourtant pas des mêmes formes. Récapitulons. Le rapport entre la flèche $f$ et la portée $L_i$ d’une voûte en berceau est $f/L_i=1/2$. Si ce rapport, que nous nommerons simplement flèche dans la suite par simplicité, est inférieur à $1/2$, la voûte est dite surbaissée.
Pour préciser l’ampleur du surbaissement, nous retenons la terminologie de Delbecq (1982, p. 38) qui distingue suivant le rapport $\sigma=f/L_i$ flèche sur portée (Fig. 4) :
  • les voûtes peu surbaissées, où $\frac{1}{2\sqrt{3}}\leq\sigma\leq\frac{1}{2}$ ;
  • les voûtes assez surbaissées, où $\frac{1}{7} \leq\sigma\leq\frac{1}{2\sqrt{3}}\approx\frac{1}{3,5}$ ;
  • les voûtes très surbaissées, où $ \sigma\leq\frac{1}{7}$.
Fig 4: Terminologie des voûtes surbaissés suivant l’ampleur du surbaissement
Pour que la voûte puisse être qualifiée de plate, il faut que $\sigma $ soit nul ou presque5. Il n’existe pas dans les traités d’architecture de définition de la limite entre la voûte très surbaissée et la voûte plate.
Notons par ailleurs que les voûtes d’arêtes plates, que l’on oppose aux voûtes d’arêtes bombées, sont des « voûtes d’arêtes dont les quartiers ont leur ligne de faîte dans le même plan horizontal » (Pérouse de Montclos, 2007, p. 135 – Fig. 5). Il ne s’agit pas des voûtes plates mentionnées précédemment.
Fig 5: Voûte d’arête plate (à g.) et voûte d’arête bombée (à d.), d’après Rondelet (1804, Pl. XXXVII) – ici Rondelet (1828, Pl. XXX)

4  Méthodes et conventions

Nous avons suivi la méthode suivante pour obtenir les orthophotos et lignes de niveaux présentées pour les différentes voûtes listées ci-dessus. Les noms des programmes composant le logiciel MicMac et utilisés à chaque étape sont indiqués avec une police spécifique.
  • prise de vues de la voûte depuis le sol
  • relevé au distance-mètre d’une distance horizontale de référence au sol pour permettre la mise à l’échelle ultérieure du nuage de points
  • orientation des photos (Tapioca, Tapas), puis mise à l’échelle du modèle en utilisant la distance connue au sol, et en choisissant comme plan horizontal de référence généralement le plan des naissances (GCPBascule + Campari)
  • création d’un nuage de point en suivant le mode automatique de MicMac (C3DC QuickMac ou MicMac)
  • création de l’orthophoto et de la carte de profondeur, cette dernière fournissant après traitement les lignes de niveaux (PIMs2Mnt DoOrtho=1, Tawny, to8Bits)
  • superposition de l’orthophoto et des lignes de niveaux pour permettre comparaison des géométries
En terme de conventions à retenir, il faut noter les deux points suivants :
  • les lignes de niveaux sont données dans un repère où le plan horizontal $XY$ correspond approximativement6 au plan des naissances de la voûte.
  • l’orthophoto est inversée sur son axe horizontal de manière à pouvoir être ensuite superposée à un plan. En effet, une orthophoto correspond à une vue de dessous de la voûte, alors que les plans sont dessinés conventionnellement en vue de dessus. L’inversion de l’orthophoto pour produire une vue de dessus peut paraître déroutante au début, l’image étant inversée par rapport à ce que l’on observe depuis le sol. Cette convention, en permettant la superposition orthophoto sur plan, est utile pour repérer précisément en plan les fissures (même si ce ne sera pas l’objet de ces exemples).
  • nous noterons $h$ la flèche d’une voûte, et $L_x$ $L_y$ la grande et petite portée respectivement
Les nuages de points présentent une bonne précision, qui n’est cependant pas infinie. Elle est généralement de l’ordre de 1 à 5cm suivant la dimension de la voûte étudiée. Cela se traduit par un léger « bruit » sur la position des nuages de points : les points sont en moyenne correctement positionné sur les surfaces étudiées, mais individuellement légèrement écartés de part et d’autre de la surface réelle.
Une des méthodes possibles pour obtenir les courbes de niveaux est de créer un maillage sur la base du nuage de points, et d’afficher les courbes de niveaux de ce maillage (p. ex. Smars et De Jonge, 2009). L’avantage est de lisser les courbes de niveaux et ainsi de les rendre plus lisibles et présentable en masquant le bruit du nuage de point d’origine. L’inconvénient est que l’on perd justement alors une partie de l’information sur le nuage de point de départ : l’importance (ou au contraire l’inexistence) de bruit qui traduit la précision du nuage.
Nous avons donc choisi de ne pas utiliser de procédé de post traitement des cartes de profondeur pour lisser les lignes de niveaux, qui contiennent donc le bruit résultant du nuage de point (incertitude sur la profondeur). Il apparaîtra clairement sur les exemples que la précision des nuages de point est largement suffisante pour analyser la géométrie des surfaces, à l’exception des contre-flèches des voûtes plates qui sont trop faibles (de l’ordre de 1 à 10cm) pour apparaître clairement en raison du bruit.
 
Article mis en ligne le : 25/08/2018.
Révisé le : 24/09/2019.
 

Sur l’auteur :

Mathias Fantin est ingénieur structure et docteur en architecture, et il travaille sur la restauration des monuments anciens. Il a fondé en 2014 Bestrema, un bureau d’études structures spécialisé dans ce domaine.
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Bibliographie

DELBECQ, J.-M. 1982, Les ponts en maçonnerie – Constitution et stabilité, cahier de recherche, Ministère des transports – SETRA, Paris. URL "http://catalogue.setra.fr/document.xsp?id=Dtrf-0000487 qid=sdx_q0 n=5 q=".
FANTIN, M. 2017, Étude des rapports entre stéréotomie et résistance des voûtes clavées, thèse de doctorat, Université Paris-Est, Paris. URL https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01834617
ROUSE DE MONTCLOS, J.-M. 1982, L’architecture à la française: du milieu du XVe à la fin du XVIIIe siècle, Picard, Paris.
ROUSE DE MONTCLOS, J.-M. 2007, Architecture : méthode et vocabulaire, 6éd., Impr. nationale : Ed. du patrimoine, Paris.
RONDELET, J. 1804, Traité théorique et pratique de l’art de bâtir – Tome 2 Livres 3 et 4, chez l’auteur, Paris. URL http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86636q
RONDELET, J. 1828, Art de bâtir – Planches, chez l’auteur, Paris. URL http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/rondelet1828planches
SMARS, P. et K. DE JONGE. 2009, Geometry and construction techniques of Gothic vaults in Brabant (Belgium), dans Proceedings of the Third International Congress on Construction History, Cottbus. URL http://www.bma.arch.unige.it/ENGL/engl_proceedings_construction_history.html.html

Notes

1 La forme de la surface de l’extrados se déduit généralement de celle de l’intrados en vertu d’une épaisseur plus ou moins constante de la voûte. Il s’agit cependant d’une simplification, en raison de l’existence des tas de charges – partie basse de la voûte construite par encorbellement – et du fait que toutes les voûtes ne sont pas extradossées régulièrement.
2 La séparation des quartiers par les nervures peut être physique (les nervures interrompent les quartiers) ou seulement visuelle (les nervures masquent la continuité des quartiers).
3 Parmi les arcs brisés, les arcs brisés en tiers-point peuvent désigner soit les arcs brisés dont les centres des arcs de cercles sont situés sur les naissances, un triangle équilatéral s’inscrivant alors à l’intérieur de l’arc brisé ((Pérouse de Montclos, 2007) – Fig. 2 a), soit les arcs brisés dont les centres des arcs de cercles sont obtenus en divisant en trois la corde, segment reliant les naissances (Encyclopédie de Diderot article Arc – Fig. 2 c).
4 Ce qui n’est en réalité même pas le cas dans le cas des voûtes des déambulatoires d’églises ou plusieurs solutions existent pour le tracé des arêtes en plan.
5 Nous passons sous silence ici la problématique de la contre-flèche, ou bombement, qui fait qu’en pratique une voûte plate étaient construite selon les traités d’architecture toujours avec une légère courbure.
6 Le plan des naissances d’une voûte n’est pas nécessairement plan ni horizontal en raison des tassements et déformations qu’a pu subir l’édifice.